Le Grand débat : fin de la consultation – Acte 1 : les discours

Avant-propos : la longueur inhabituelle de ce billet, qui plus est, politique, est susceptible de décourager quelques fidèles lecteurs. Aussi, pour aller à l’essentiel, j’invite les plus pressés d’entre eux à lire uniquement les parties colorées du texte puis leur recommande de sauter directement aux conclusions.

Le Premier ministre (sinistre disait Coluche) a sifflé la fin de la récréation le 8 avril 2019. Après deux mois de palabres, les contributions nationales qui ont provoqué une avalanche inédite de chiffres (1), sont bel et bien terminées. Ouf ! diront certains. Pour mettre en exergue l’évènement, Édouard Philippe avait invité au Grand Palais, 200 privilégiés, ministres, secrétaires d’État, présidents, directeurs d’administration… mais curieusement, pas de gilets jaunes sans lesquels pourtant nous aurions été privés de cette belle manifestation républicaine. Pour l’anecdote, les journalistes de l’émission Quotidien ont réalisé un montage humoristique sur l’arrivée espacée, et jugée ridicule, des ministres, laquelle s’apparentait effectivement, avec le fond musical choisi, à un défilé de mannequins de chez Dior. La modestie, c’est bien connu, n’est pas l’apanage de nos dirigeants.

J’ai réécouté avec attention son discours (2), long, laborieux et ennuyeux. Pourtant rompu à ce genre d’exercice, il m’a paru peu à l’aise, bafouillant à plusieurs reprises. Peut-être ressentait-il un léger embarras en observant le décalage entre le faste des lieux et la misère de certaines gens qui l’ont conduit sur cette estrade ? Ou éprouvait-t-il quelque scrupule à ne voir aucun Gilet jaune ? Bref, il nous a gratifié, sur 26 minutes à discourir, de 9 minutes de remerciements où apparemment il ne fallait oublier personne d’où cette longueur monocorde et pesante. Fort opportunément, un individu dont on ignore l’identité, et le sort aujourd’hui, est venu interrompre sa litanie. Il avait le profil d’un Gilet jaune en tenue de camouflage, probablement un supporter de Mélenchon, réclamant haut et fort la Sixième république.

Pour en venir à l’essentiel du discours, le Premier ministre a entendu les français. Il a précisé que le temps du débat « était nécessaire pour écouter, si on ne prend pas le temps d’écouter, en général, on n’entend pas bien« . Merci donc au Grand débat qui a permis à nos gouvernants d’ouvrir grand leurs oreilles. Pourtant il n’a été fait allusion à aucun moment au RIC ou à l’ISF. Il est vrai qu’il n’était pas là pour détailler des mesures, uniquement pour annoncer qu’elles allaient arriver. En les attendant (une dizaine de jours, le temps nécessaire pour analyser les retombées dudit discours) M. Philippe est entré (enfin !) dans le vif du sujet.

Après s’être apitoyé sur le sort regrettable des femmes seules qui ne perçoivent pas les pensions qui leur sont dues, ainsi que sur les contrats courts des femmes travaillant dans les EHPAD, il a retenu 4 exigences (appréciez le terme) qu’il s’est proposé de développer.

1) Exigence 1 : face à « l’immense exaspération fiscale » et malgré les efforts déployés dès la mise en place du gouvernement Macron, (baisses des cotisations sociales, de la taxe d’habitation, de l’impôt sur les sociétés…) les choses ne sont pas allées assez « vite, fortement et clairement« . Les français veulent « une tolérance fiscale zéro« . Il faudra donc « baisser et plus vite les impôts« . Très bien, message reçu 5/5 mais il y a un… MAIS, il faudra aussi « baisser la dépense publique« . Ah ! ça partait bien pourtant, mais apparemment ça ne va pas être simple !

2) Exigence 2 : c’est : « une exigence de fraternité et de proximité« . Il faut rétablir l’équilibre entre les grandes métropoles et les communes. Il faut réorienter les efforts vers les transports du quotidien. Revoir les règles d’urbanisme ? Il faudra « adapter les services publiques pour qu’ils redeviennent des services de contacts, pas seulement numériques mais humains« . Il faudra également « développer une culture de la simplicité, la complexité exclut, et donc éloigne« . En s’adressant aux directeurs d’administrations centrales, il leur a demandé de « faire moins de normes, le service aux usagers doit primer« . Il ne reste qu’à espérer que les intéressés présents pour entendre le message, aient eux aussi de bonnes oreilles.

3) Exigence 3 : elle est démocratique. Le Premier ministre a observé qu’il n’y a pas de réconciliation entre les Français et ceux qui les dirigent. Des mots très durs ont été prononcés à l’encontre du gouvernement, des élus, des fonctionnaires. Une défiance s’est installée dans le peuple. Mais surtout les Français veulent savoir « qui fait quoi dans le mille feuilles actuel« . Autre remarque, il faut « construire les outils d’une démocratie plus délibérative » qui existe déjà au niveau local. Et l’exigence de participation doit demeurer après le Grand débat. « On ne pourra plus gouverner comme avant« , le Président l’a dit. Il va falloir « bâtir une démocratie participative au long cours. Les Français ne veulent pas d’une démocratie directe et médiatique. Ils veulent une démocratie plus représentative, plus transparente, plus efficace et une exemplarité encore renforcée« . Bref, on garde les mêmes et on continue comme avant.

4) Exigence 4 : « c’est une urgence climatique dont les Français ont une claire conscience. Les Français ne sont pas des climatosceptiques, ils savent que ce qui se joue est essentiel et on doit être fiers de cette lucidité. Les Français sont prêts à changer de comportement, ils ne veulent plus que des taxes leur dictent ce qu’ils doivent faire. Ils veulent des dispositifs d’accompagnement« . Il n’y a plus qu’à !

Ses conclusions : « Ces orientations (exigences) font consensus parmi les contributeurs. » Mais « elles ne seront pas faciles à atteindre… car il y a des paradoxes et des contradictions« . Tout « l’enjeu va consister à passer de ces éléments de consensus à des compromis démocratiques pour atteindre ces objectifs« . Ce sera à la démocratie représentative d’y veiller. [Ce ne sera pas simple effectivement] Le Président de la République va donner les grandes orientations [pas les détails ?], le gouvernement va travailler avec le parlement [comme avant la crise], les partenaires sociaux [toujours là], les élus locaux [1 maire sur 2] et les associations [dont le rôle est moindre]. Les enjeux seront précisés devant l’Assemblée nationale et le Sénat [2 nouveaux discours] mais « l’agenda [des réformes] obéira à plusieurs échelles de temps« . « Hésiter serait pire qu’une erreur, ce serait une faute. » Un homme averti en vaut deux.

« Le besoin de changement est radical, il exclut tout conservatisme, et toute frilosité serait impardonnable. » La détermination du Premier ministre « est absolue pour faire du Grand débat une chance pour les territoires, pour notre avenir et pour la France« .

NDLR : Et MERCI aux Gilets jaunes qui lui ont donné l’opportunité de ce discours. Merci aussi au conseiller du Président Macron qui a eu la bonne idée de la taxe carbone et, ce faisant, a permis au gouvernement de voyager dans tout le pays. Les Français ont pu ainsi exprimer leurs colères et leurs  souhaits… que nos gouvernants connaissaient déjà.

Mes conclusions : Ce discours est une version moderne (2.0) du célèbre « Je vous ai compris » que l’on peut compléter par, « mais il ne va pas falloir s’attendre à des miracles ». Pas sûr que cela convienne aux plus irréductibles des Gilets jaunes. Si quelques avancées ou d’habiles manœuvres peuvent contenir leur détermination jusqu’à l’été, il y a de forts risques qu’à la rentrée, à la faveur d’une quelconque augmentation (électricité ?) la contestation reprenne de la vigueur; et là, les mots ne suffiront plus.

(1) Voici les chiffres officiels « d’une ampleur exceptionnelle » du Grand débat donnés par le Premier ministre : plus de 10.000 réunions publiques – Plus de 16.000 cahiers de doléances (une commune sur 2) – Près de 2 millions de contributions en ligne – 21 conférences citoyennes et… des millions de mots !

(2) La version écrite du discours, dans l’éventualité où les images disparaissaient : discours_de_m._edouard_philippe_premier_ministre_-_restitution_du_grand_debat_national_-_08.04.2019

Photo : Internet.

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Un commentaire

  1. Génial cet art d’occuper la totalité de l’espace médiatique ou presque, et pendant ce temps le bal continue. Par exemple, les déboires actuels de l’EPR expliqués dans le rapport de l’ASN* (en ligne) résultent de soudures réalisées chez le grand spécialiste habituel entre 2012 et 2014 selon les normes usuelles RCC-M alors qu’il était décidé de renforcer certaines soudures très sensibles et de dépasser ces normes. Hélas, la société de soudage n’était pas informée, pire l’information est transmise en 2015 et il faut encore attendre 2017 pour que l’ASN en soit averti (page 29 du rapport de l’ASN) et bien entendu il sort le carton rouge, pas belle la vie. Je vous laisse deviner qui sont les Maîtres d’Ouvrages de l’EPR même s’ils disposent d’adjoints très compétents. Et puis les pantoufles du printemps circulent comme les hirondelles, on s’échange un Général Électrique contre un Valourec, les postes au château n’ayant plus la côte. Tient, la Française des jeux avant sa privatisation sait-on jamais, grand exploit bonne aubaine, ou ce Préfet de Paris limogé mais recasé au conseil d’état, Etc. et pendant ce temps les gens perdent leurs boulots et quand il se plaignent ils sont traités de Populistes…En ces temps de grand déballages, et si nous commencions par supprimer Sciences-Po, l’ENA..et contrôler strictement les lobbies…

    * Autorité de Sûreté Nucléaire.

    https://www.pantouflewatch.org/

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